Que s’est-il réellement passé au Texas ?
station essence au texas

Blackout, factures d’électricité qui s’envolent : pendant 4 jours, des millions de texans se sont retrouvés privés d’électricité et de chauffage à l’occasion d’une vague de froid historique. Pour les détracteurs de la tarification dynamique de l’électricité voulue par l’Europe, cet événement est une preuve des dérives du prix de marché. Ce sont pourtant bien des limites structurelles et une impréparation à ce type d’épisodes qui ont provoqué le blackout texan. Explications.

Des coupures d'électricité en cascade

C’est l’histoire d’un effet domino aux conséquences désastreuses. En février 2021, une vague de froid sans précédent touche le Texas : du jour au lendemain, les températures atteignent -20°C, contre 10° en moyenne à cette période de l’année. Dans les heures qui suivent, les câbles gèlent, les éoliennes s’arrêtent et les centrales thermiques tournent au ralenti. Des quartiers entiers sont plongés dans le noir.

Conséquence : les prix de l’électricité grimpent jusqu’à atteindre des sommets. Les médias du monde entier relaient les témoignages de consommateurs recevant des factures d’énergie frôlant les 1 000 $ ou 2 000 $, et pointent du doigt la tarification dynamique de l’électricité. 

Mais même à ce prix, personne n’était en mesure d’allumer ses lumières ou son chauffage. Car à l’autre bout du câble électrique, c’est toute la production d’électricité qui était à l’arrêt.

Texas : un réseau inadapté aux vagues de froid

Entre impréparation et négligences

L’explication la plus simple est toujours de nature humaine. Personne n’a vu venir un tel scénario. On peut facilement le comprendre : dans un État comme le Texas où les moyennes de températures les plus basses se situent autour des 10° C, on ne s’attend pas à atteindre les -20°. Dans ce cas, « à quoi bon investir des millions de dollars pour se prémunir de quelque chose qui n’arrivera jamais ? », peut-on penser.

C’est la première erreur du Texas : une impréparation aux vagues de froid. En négligeant “l’hivérisation” de leur réseau (sa capacité à résister aux épisodes de froid extrême), les Texans ont vu leurs câbles électriques et pales d’éoliennes geler. Au point de ne plus pouvoir faire transiter ni produire de nouveau électrons.

À l’inverse, les États du nord des États-Unis, tout comme les pays d’Europe, ont préparé leur réseau électrique à de potentielles vagues de froid. Une partie des câbles sont enterrés. Quant aux pales d’éoliennes, dans certains pays comme l’Allemagne, celles-ci sont dotées de résistances qui les chauffent en hiver. Elles peuvent donc continuer à tourner et à produire, même en cas d’épisode de froid extrême.

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Un mix énergétique reposant principalement sur le gaz naturel

C’est l’un des avantages principaux du Texas : il dispose de très grandes ressources en gaz naturel. Aussi : un réseau de pipelines traversant tout le territoire, pour faire transiter ce combustible rapidement. On peut alors comprendre les texans : « quand on est assis sur une telle quantité de gaz, pourquoi ne pas en profiter ? ». Deuxième erreur.

Un réseau en flux tendu

Là encore, la faute revient à un sous-investissement dans le réseau : le gaz étant disponible en abondance, et voyageant très vite dans des tuyaux à haute pression, le Texas n’a pas jugé nécessaire de le stocker. Juste au cas où il viendrait à manquer, par exemple. Dans les centrales thermiques, le gaz était brûlé aussitôt qu’il arrivait.

Mais avec la baisse des températures, le sol s’est refroidi. Même plusieurs mètres sous terre, la température des pipelines a chuté : le gaz a donc « pris moins de place » dans les tuyaux, ce qui a entraîné une chute drastique de la pression. En conséquence : beaucoup moins de gaz à l’arrivée, des centrales thermiques au ralenti, et une production d’électricité qui ne peut plus satisfaire la demande. En clair : un effondrement de toute la chaîne de production d’électricité.

Le gaz : une bonne moitié du mix électrique texan

Les politiques texans ont longtemps pointé du doigt les énergies renouvelables, responsables, selon eux, du blackout. Pourtant, si les éoliennes étaient à l’arrêt en raison du gel de leurs pales, elles ne représentent que 9% du mix énergétique du Texas. Et les panneaux solaires, eux, ont continué à produire (même plus que jamais). En réalité, ce sont bien les énergies fossiles qui ont manqué ce jour-là : le gaz représente la moitié du mix énergétique texan. Le moindre grain de sable dans les rouages peut donc provoquer une crise systémique sur l’intégralité du réseau.

À titre de comparaison, en Europe, le mix électrique est beaucoup plus diversifié :

  • 24,8% des électrons viennent de centrales nucléaires ;
  • 19,7% du gaz naturel ;
  • 13,2% du charbon ;
  • 12,7% de barrages hydroélectriques ;
  • 14,4% de l’éolien ;
  • 5,6% de la biomasse ;
  • 5,2% du solaire ;
  • Le reste, d’autres moyens de production (énergie marémotrice, etc).

Ainsi, si l’une des composantes vient à manquer, on peut plus facilement la compenser. Et même en cas de manque criant, on peut se tourner vers ses voisins pour importer de l’électricité. Mais ce n’était pas le cas du Texas…

Un réseau non-interconnecté avec ses voisins

C’est ce sans doute ce qui a achevé le réseau électrique texan. 

En Europe, tous les pays sont interconnectés. Quand la France produit trop, elle peut exporter vers l’Allemagne, et vice versa. Cet échange dynamique de l’électricité permet à chaque pays de s’assurer un approvisionnement stable en énergie, quelle que soit la demande. Lorsqu’une vague de froid touche la France, on peut compter sur des pays à l’autre bout de l’Europe qui n’y sont pas confrontés et qui ont de l’électricité à revendre.

Même chose aux États-Unis. Pour preuve : les États du Nord, très souvent confrontés à des vagues de froid, parviennent à y faire face en mettant en commun leurs capacités de production. Mais étrangement, ce qui est vrai pour tous les pays développés…ne l’est pas pour le Texas.

« Qu’importe le prix payé, le réseau n’était pas en mesure de fournir de l’électricité. »

Un problème de gouvernance énergétique

On connaît l’attrait des américains pour le libéralisme économique et politique. Pour échapper à la régulation des autorités fédérales, le « Lone Star State » a toujours préféré faire cavalier seul. Exit, donc, l’idée de s’interfacer avec les réseaux électriques des autres États américains.

À la place, le Texas a préféré produire et gérer son électricité seul, via son propre organisme régulateur : l’ERCOT (Electric Reliability Council of Texas). L’ERCOT gère le réseau et fixe les prix de l’électricité, avec un mécanisme basé sur un prix de marché. Quand la demande est forte, le prix monte. Quand elle est faible ou que la production est très élevée, le prix baisse. Mais lorsque le réseau ne produit plus, l’offre chute, donc mécaniquement, les prix s’envolent. Pendant l’épisode de blackout texan, il a même atteint 9 000 $ le Mégawatt. Au même moment, le Mégawatt était à 34 $ dans l’État de New York

Toutefois, même avec des prix aussi élevés, l’électricité venait à manquer. Les texans qui ont payé des factures de 1 000 $ ont, eux aussi, vécu ces blackouts. Qu’importe le prix payé, le réseau n’était tout simplement pas en mesure de fournir de l’électricité. Finalement, le mécanisme de marché s’est totalement déconnecté de la réalité.

Un signal envoyé au consommateur

L’intérêt du prix de marché est d’envoyer un signal au consommateur : de l’inviter à décaler ses usages et à reporter sa consommation électrique pour soulager le réseau, et éviter l’ouverture de centrales thermiques polluantes. C’est ainsi que l’on tire le meilleur parti des énergies renouvelables. 

Mais ce mécanisme de marché est efficace lorsque le réseau électrique national est suffisamment stable et qu’il peut, en cas de défaillances, s’appuyer sur une aide extérieure : des centrales ouvertes ponctuellement, ou des pays voisins capables d’exporter de l’électricité comme c’est le cas en Europe. Mais si ce n’est pas le cas, effectivement, le consommateur est en danger.

Vers un modèle européen de tarification dynamique de l'électricité

En France comme en Europe, le réseau électrique est robuste, interconnecté, avec un mix énergétique équilibré. Il est préparé pour faire face aux vagues de froid. Et cela se reflète dans le prix de l’électricité sur le marché de gros. Ces prix chutent lorsque la production de renouvelable est forte. Le reste du temps il est relativement stable, même en hiver. 

Il est toutefois important de l’encadrer, ne serait-ce que pour rassurer le consommateur dans son choix. Chez barry, si nous sommes convaincus que la situation du Texas aurait de très faibles chances de se produire en France, nous avons décidé de fixer un plafond au prix du marché payé par le consommateur, à deux fois le tarif réglementé de vente. Principalement pour montrer à quel point nous sommes convaincus que la tarification dynamique de l’électricité est le seul moyen d’évoluer vers un modèle énergétique propre et responsable. C’est d’ailleurs pour cela que l’Europe impose le développement de telles offres en France en 2022.

Et n’oublions pas cette réalité : tarif dynamique et tarifs réglementés sont intimement liés. Lorsque les prix de marché augmentent, ces hausses se répercutent quelques mois plus tard sur les tarifs de tous les fournisseurs d’électricité. 

Après tout, il ne faut pas oublier qu’aucun fournisseur ne vend à perte…

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